Membres de votre famille : pourquoi ne pas travailler ensemble ?

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Femme et adolescent travaillant ensemble à la cuisine

Une statistique brute : près de 80 % des entreprises françaises sont familiales. Ce chiffre, souvent relégué en arrière-plan, dévoile une réalité bien plus ancrée que l’on ne croit : la France travaille en famille, et pas qu’à la marge. Pourtant, le Code du travail ne ferme aucune porte à l’embauche d’un parent. Il impose seulement des garde-fous dans certains secteurs, pour éviter que la frontière entre loyauté et partialité ne se brouille. Dès qu’il s’agit de marchés publics ou de postes sensibles, la parenté devient alors motif d’incompatibilité. La vigilance s’impose.

Travailler en famille : une réalité plus courante qu’on ne le pense

Oubliez l’idée reçue d’un modèle réservé aux grandes fortunes. Les entreprises familiales irriguent tout le tissu économique, de la boulangerie du coin à la PME du bâtiment, en passant par l’atelier d’artisanat ou la société de service. C’est là que se tissent des histoires de transmission, de confiance et parfois de rivalités. On connaît les géants du CAC 40 : Bouygues, Arnault, Lagardère, Rocher, Seb, Bonduelle… Mais derrière ces noms résonnent d’innombrables récits discrets, où l’aventure entrepreneuriale s’écrit en famille, génération après génération.

Le groupe AB Foods, par exemple, n’a pas fait la une des journaux, mais il incarne cette dynamique. Noémie Keime y travaille avec son père. Dans un ouvrage, elle décrit la singularité de ce lien professionnel, où l’affectif croise les intérêts collectifs. Ce modèle attire : il fédère, pérennise la transmission patrimoniale et brouille parfois les frontières entre sphère privée et engagement professionnel. Ici, le statut de salarié cohabite avec celui d’associé ou de dirigeant, le tout sur fond de liens du sang ou du cœur. Les distinctions entre famille et travail s’estompent, pour le meilleur… et parfois pour le plus complexe.

Des récompenses viennent souligner cette longévité, à l’image de Schwan-Stabilo, distinguée par le prix Léonard de Vinci pour sa gestion familiale sur plusieurs générations.

Quelques chiffres et observations pour prendre la mesure du phénomène :

  • Près de 80 % des entreprises françaises fonctionnent avec un socle familial.
  • La mobilisation de plusieurs générations est souvent synonyme de stabilité, d’innovation et de créativité.
  • La réussite s’appuie sur l’engagement, la confiance, mais aussi sur la capacité à tracer une ligne claire entre intérêts privés et objectifs collectifs.

Quels sont les cadres légaux à respecter lorsqu’on emploie un proche ?

Employer un proche ne relève ni de la faveur, ni de l’improvisation. Le droit du travail trace la frontière entre un coup de main ponctuel, l’entraide familiale, et une véritable relation de travail, qui suppose régularité, rémunération et, surtout, lien de subordination. Ce dernier, c’est la clé de voûte : sans subordination, pas de contrat de travail légalement reconnu.

En entreprise, trois statuts peuvent concerner les membres de la famille. Voici en quoi ils consistent :

  • Salarié : signature d’un contrat, fiche de paie, cotisations sociales et déclaration à l’URSSAF.
  • Mandataire social : gérant, président ou tout autre dirigeant, avec des responsabilités et des obligations distinctes.
  • Actionnaire ou associé : implication dans la gouvernance à travers la détention de parts sociales ou d’actions.

Faire travailler un membre de la famille sans respecter ces statuts expose à un vrai risque : le travail dissimulé. L’URSSAF veille, et la sanction tombe vite si l’activité est régulière et sans cadre officiel. Pour les cabinets politiques, la loi du 15 septembre 2017 interdit l’emploi de proches. Partout ailleurs, aucune interdiction, mais une exigence : clarté dans les compétences, transparence à l’embauche, égalité de traitement et refus de toute discrimination liée à la situation familiale.

Les juges, eux, examinent à la loupe l’adéquation entre le poste et les compétences du salarié, s’assurent que la rémunération ne dépasse pas la norme du secteur et vérifient la réalité de la mission accomplie. Le but ? Prévenir tout conflit d’intérêts et garantir à chaque salarié, qu’il soit du clan ou non, un traitement équitable.

Risques, dérives et précautions à prendre pour préserver l’équilibre

Travailler en famille, c’est jouer avec des ressorts puissants. Le socle affectif peut se fissurer au moindre faux pas. Les conflits ne manquent pas : rivalités entre frères et sœurs, soupçons de traitement de faveur, incompréhensions entre générations… Les tensions s’invitent, d’autant plus quand la frontière entre travail et vie privée devient poreuse.

La succession est un point de crispation majeur. Qui prendra la relève ? Comment se partage le pouvoir ? La transmission du patrimoine, même allégée fiscalement grâce à des dispositifs comme le pacte Dutreil, ne gomme pas les enjeux humains. L’expérience de Noémie Keime chez AB Foods montre l’intérêt de solliciter des spécialistes pour accompagner la transition : médiation, conseil, écoute externe évitent que les conflits ne s’enkystent.

Maintenir l’équilibre suppose de fixer des règles, d’oser la clarté. Horaires de travail définis, espaces de déconnexion lors des retrouvailles familiales, partage explicite des responsabilités… Quand parents et enfants, conjoints ou cousins travaillent ensemble, il faut cultiver une parole libre et directe, pour désamorcer les tensions avant qu’elles ne se transforment en querelles durables.

Voici quelques précautions à envisager pour préserver la dynamique familiale et professionnelle :

  • Préparer la succession à l’aide d’outils juridiques et de dialogue adaptés.
  • Formaliser les relations de travail, même entre proches, pour éviter toute ambiguïté.
  • Veiller à ce que les désaccords professionnels restent cantonnés à la sphère du travail et ne contaminent pas les relations privées.

Ce sont la transparence, la rigueur et l’écoute qui donnent à l’aventure familiale toutes ses chances, sans verser dans le règlement de comptes ni l’impasse juridique.

Trois générations plantant dans le jardin en famille

Favoriser une relation professionnelle saine au sein de la famille

La réussite d’une entreprise familiale ne tient pas au seul ciment du lien du sang. Elle se construit sur une gouvernance solide et des règles partagées. Oublions le mythe de l’entente spontanée : la longévité exige des garde-fous, des espaces de discussion et une organisation millimétrée. Un conseil d’administration familial, ou au minimum un comité de pilotage, structure la prise de décision, balise les zones d’ombre et évite l’arbitraire.

Difficile de tenir la distance sans communication. Des réunions régulières instaurent un rituel : chacun peut s’exprimer, pointer les difficultés, anticiper les tensions et désamorcer les conflits en amont. Les grandes maisons, comme Bouygues ou Arnault, ne laissent rien au hasard : elles institutionnalisent ces moments pour renforcer la cohésion, impliquer chaque membre dans la stratégie, préserver l’équilibre.

Quelques leviers concrets pour installer un climat professionnel sain au sein du cercle familial :

  • Tracer une ligne nette entre travail et vie privée, en définissant clairement le cadre professionnel.
  • Créer des espaces d’échange où la parole circule sans tabou.
  • Clarifier les rôles : qui fait quoi, avec quelles responsabilités et quelle autonomie.

Noémie Keime, dans son livre « Travailler en famille », insiste sur ce point : tout l’enjeu consiste à conjuguer exigence professionnelle et respect du lien familial. Le chef d’entreprise, qu’il soit à l’origine de la structure ou issu de la nouvelle génération, doit apprendre à déléguer, à écouter, à accepter la contradiction. C’est ce subtil dosage qui permet à l’entreprise familiale de durer, sans se renier ni se dissoudre dans le compromis permanent.

Travailler ensemble en famille, c’est tenter l’équilibre sur une corde qui ne pardonne pas l’improvisation. Ceux qui réussissent n’ont pas sacrifié la franchise sur l’autel de l’affection. Leur force ? Maintenir le dialogue, partout, tout le temps. Voilà peut-être le vrai secret des aventures familiales qui traversent les décennies.