
Un partenariat qui s’arrête alors que la technologie avance : voilà le paradoxe. En février 2024, la NASA a mis fin à son partenariat avec Google sur le projet d’informatique quantique D-Wave, après plus de dix ans de collaboration. Cette décision intervient alors que Google annonçait de nouveaux progrès expérimentaux, confirmant la puissance croissante de ses processeurs quantiques Sycamore.
Malgré ces avancées, aucun gain concret n’a été démontré pour les applications spatiales ou scientifiques visées par la NASA. L’agence revoit désormais ses priorités en matière de calcul intensif, tandis que les chercheurs s’interrogent sur la trajectoire réelle du secteur.
Plan de l'article
Où en est réellement l’informatique quantique aujourd’hui ?
Dans les années 80, Richard Feynman posait les bases d’un rêve : bâtir un ordinateur quantique qui dépasserait de loin les supercalculateurs classiques. Quarante ans plus tard, les résultats restent mitigés. IBM, Google, les universités chinoises spécialisées en sciences et technologies, tous multiplient les annonces fracassantes. IBM promet 1 000 qubits très prochainement, la Chine annonce des machines de pointe et la « suprématie quantique » fait régulièrement la une. Il s’agit de démontrer qu’un circuit quantique peut résoudre un problème qu’aucun ordinateur classique ne peut traiter.
Mais sur le terrain, les cas d’usage restent limités. Même avec plusieurs centaines de qubits, les ordinateurs quantiques actuels se montrent instables et sujets aux erreurs. Les chercheurs se heurtent à la question épineuse de la correction d’erreurs, véritable goulot d’étranglement pour toute avancée majeure. Pour l’instant, les seules applications concrètes concernent la simulation de systèmes quantiques ou certains algorithmes très spécialisés. Les espoirs d’une révolution dans la cryptographie, avec la cryptographie post quantique, ou d’un bond dans l’industrie restent en suspens, repoussés à une date indéterminée.
Pour mieux cerner les défis actuels, quelques points méritent d’être soulignés :
- La technologie quantique progresse, mais son accès généralisé reste hors de portée.
- Les dernières avancées portent surtout sur la stabilité et la montée en puissance des qubits.
- Des coopérations scientifiques, notamment entre la France et la Chine, tentent de franchir les obstacles encore en place.
Des laboratoires comme celui de l’université des sciences et technologies de Chine ou les centres de recherche d’IBM poursuivent la compétition. Mais la frontière entre annonce médiatique et percée scientifique demeure fragile. Le calcul quantique suscite autant de fascination que de doutes : il divise, il intrigue, il questionne.
NASA et Google : retour sur une collaboration pionnière et ses enjeux
En 2013, la NASA et Google s’associent pour créer le Quantum Artificial Intelligence Lab, installé au sein du NASA Laboratoire National d’Ames, en Californie. Leur ambition : tester le potentiel du calcul quantique pour servir l’intelligence artificielle. Pour la première fois, une machine D-Wave, ordinateur quantique alors entouré de mystère, est reliée à des missions de la NASA, dans un partenariat inédit avec la Silicon Valley.
La promesse était alléchante : accélérer les calculs sur des problèmes complexes, de l’optimisation à la planification de trajectoires interplanétaires. Les équipes s’attellent à l’optimisation, à la reconnaissance de formes, à la planification spatiale. L’idée d’une percée dans l’ordinateur quantique fait vibrer la communauté scientifique.
Mais la réalité s’est révélée plus sobre. Les premières études, publiées dans les revues spécialisées, montrent qu’il reste très compliqué de prouver une véritable suprématie quantique. Les performances, dans les faits, demeurent modestes par rapport aux supercalculateurs traditionnels. L’intégration des systèmes NASA à l’architecture D-Wave se heurte à des difficultés techniques, tandis que Google privilégie, de son côté, le développement de prototypes plus avancés.
Voici ce que cette alliance a permis de mettre en lumière :
- Le partenariat NASA-Laboratoire a propulsé l’informatique quantique sur le devant de la scène aux USA.
- La recherche menée sur les machines D-Wave a ouvert la voie à de nouvelles collaborations internationales, sans aboutir à une rupture technologique immédiate.
L’énergie s’est peu à peu dissipée. Google a poursuivi ses travaux sans la NASA, celle-ci redéployant ses ressources ailleurs. Ce laboratoire, un temps symbole d’ambition collective, expose aujourd’hui l’écart qui subsiste entre les attentes et la réalité d’une technologie loin d’être aboutie.
Pourquoi la NASA a choisi de mettre un terme à ses recherches quantiques
L’arrêt du programme d’Informatique Quantique à la NASA n’est ni une rupture brutale ni un rejet de la recherche. L’agence a exploré pendant près de dix ans le champ des possibles, en misant sur la collaboration avec Google et le laboratoire d’Ames. Mais dans les faits, le Quantum Artificial Intelligence Lab s’est heurté à la dureté des obstacles techniques.
Les machines quantiques, et notamment les modèles D-Wave, n’ont pas permis de prendre l’avantage sur les calculateurs classiques. Les limites sont nettes : fiabilité trop relative des qubits, correction d’erreurs trop lourde à gérer, coûts de maintenance élevés. Les applications pour les missions spatiales restent hors d’atteinte.
Ces réorientations sont guidées par plusieurs constats :
- Les choix budgétaires changent : la NASA mise dorénavant sur la robotique avancée, l’intelligence artificielle conventionnelle et la gestion de la donnée à grande échelle pour ses explorations.
- La recherche privilégie des technologies éprouvées, loin du flou qui entoure encore le quantique.
Le laboratoire national Oak Ridge (ORNL) capte une partie des efforts, mais dans un cadre expérimental, sans engagement massif. Les investissements s’orientent vers des secteurs où les retombées sont plus immédiates. La recherche quantique n’est pas abandonnée, elle passe simplement à l’arrière-plan, en attendant que l’écosystème devienne plus mature.
Ce que révèlent ces choix pour l’avenir de la technologie quantique
Le repositionnement de la NASA dépasse largement la question spatiale. Au lieu de s’entêter sur des prototypes encore trop fragiles, les grands acteurs redéfinissent leurs axes de travail. Le calcul quantique progresse, mais l’idée d’un ordinateur quantique universel s’éloigne, freinée par des défis d’intégration et de stabilité des qubits. Derrière les communiqués triomphants, la réalité reste celle d’une technologie qui ne parvient pas à sortir de la phase de laboratoire.
Pour la cryptographie post quantique, la prudence est de mise. Les équipes universitaires, en France comme ailleurs, travaillent à la mise au point d’algorithmes capables de résister à une éventuelle avancée du quantique, mais l’horizon reste flou. Les financements, publics et privés, s’orientent de plus en plus vers des approches hybrides, mêlant informatique classique et innovations quantiques.
Quelques tendances se dégagent dans l’écosystème :
- IBM continue à développer ses machines de démonstration, misant sur une amélioration progressive de la puissance des qubits.
- La Chine affiche une stratégie ambitieuse dans les sciences et technologies, mais la suprématie quantique tant annoncée est encore loin d’être acquise.
L’histoire, lancée par les intuitions de Richard Feynman, n’est pas terminée. Les universités et centres de recherche cherchent à dépasser les effets d’annonce pour jeter les bases d’une véritable révolution technologique. Les décisions récentes de la NASA invitent à regarder, avec lucidité, l’état réel du quantum computing. Le chemin vers un ordinateur quantique pleinement opérationnel est pavé d’incertitudes, et pour l’instant, la ligne d’arrivée reste à l’horizon.